La quête du Roi Arthur
De Isaline Aubin
Tiré du National Geographic de avril 2006
Qui était le roi Arthur ? Simple figure légendaire ou personnage réel? De nombreux historiens ont étudié la question et traqué les moindres indices de son existence. Voici ce qu'ils ont découvert.
L'enquête commence au coeur des textes. Le récit qui a fixé la légende arthurienne et l'a répandue à travers l'Europe occidentale est celui écrit par Geoffroi de Monmouth vers 1136, L'Histoire des rois de Bretagne (l'actuelle Grande-Bretagne). Il sera plus tard adapté en vers français par Robert Wace, sous le titre de Roman de Brut. Puis Chrétien de Troyes, Wolfram von Eschenbach et Sir Thomas Malory en écriront leur propre version, chacun l'agrémentant de nouvelles légendes et l'adaptant aux goûts de son public. La Table ronde, le Graal, l'épée Excalibur et la localisation de certains épisodes en Bretagne armoricaine sont ainsi des ajouts ultérieurs, qui n'ont vraisemblablement aucune réalité historique.
Ce manuscrit enluminé du XVe siècle représente le Saint-Graal apparaissant aux chevaliers de la Table ronde. Au fil des siècles, le cycle arthurien a été agrémenté de nouvelles légendes, qui n'ont bien souvent aucune consistance historique.
C'est donc le texte de Geoffroi de Monmouth qui sert de point de départ. On y apprend qu'Arthur aurait vécu vers le milieu du Ve siècle-début du VIe, dans une Bretagne en proie au chaos et aux invasions barbares. Il est présenté comme un monarque exemplaire, qui aurait mené son peuple à la victoire contre les Saxons à Mont Badon, stoppant temporairement leur progression. Mais le texte de Geoffroi, largement empreint de magie et de fiction, ne peut être considéré comme un récit historique fiable, d'autant qu'il est écrit près de six cents ans après la vie supposée d'Arthur.
Les historiens ont alors compulsé l'ouvrage contemporain de référence - et quasiment l'unique- sur l'âge brittonique, que saint Gildas a rédigé dans la première moitié du Ve siècle : De Excidio Britanniae ("Décadence de la Bretagne"). On y trouve effectivement le récit de la bataille de Mont Badon, mais nulle part n'apparaît Arthur. Au contraire, le seul nom qu'associe Gildas à cette période est celui d'Ambrosius Aurelianus, un Romain qu'il place à la tête des Bretons. Il faut donc chercher ailleurs.
Abbaye de Glastonbury, somerset
En 1191, des moines annoncèrent la découverte de la tombe du roi Arthur et de sa reine Guenièvre surmontée d'une croix portant leurs noms.
Mais d'après la forme des lettres, des spécialistes ont conclu que ces inscriptions sont bien postérieures à la période arthurienne.
Il s'agit sans doute d'un faux.
En dehors de quelques poèmes, deux documents ont plus particulièrement retenu l'attention des historiens. Le premier, c'est l'Historia Brittonum datée de 830 environ. On y découvre les exploits d'un Arthur non pas roi mais chef de guerre (dux bellorum) qui aurait remporté douze combats contre les Saxons, jusqu'à celui de Mont Badon. Quant au second, il s'agit des Annales Cambriae ("Annales galloises"), collectées jusqu'au Xe siècle. Il mentionne lui aussi la bataille de Mont Badon, en 518, et la mort d'Arthur, située en 539 lors de la bataille de Camlann. Geoffroi de Monmouth s'est vraisemblablement inspiré de ces deux documents. Mais l'Historia Brittonum et les Annales Cambriae sont visiblement des compilations de textes plus anciens et de traditions orales, sans doute réinterprétés et impossibles à authentifier.
A défaut de preuves textuelles concluantes, les historiens se sont tournés vers l'archéologie. Au cours du siècle dernier, des fouilles ont été entreprises sur les sites arthuriens. En 1930, C.A. Ralegh Radford est envoyé par le British Ministry of Works sur l'île de Tintagel, en Cornouailles. Selon Geoffroi de Monmouth, c'est ici que se trouvait le château où le roi Arthur fut conçu et mis au monde. Verdict : le site a bien été occupé à l'époque arthurienne, mais Radford conclut à un monastère celtique. Cette fois le sort jouera en faveur des chercheurs, puisqu'en 1983 un feu de brousse met au jour de nouveaux vestiges, et relance les fouilles dans les années 1990. De nombreuses structures et des milliers de fragments de poterie importée de Méditerranée sont alors découverts. La thèse monastique est définitivement écartée au profit de celle d'un important site commercial, sans doute de produits méditerranéens de luxe (huile d'olive, vin...), ou d'une place forte de haut rang, voire d'une résidence royale. En 1998, nouveau coup de théâtre. Des archéologues de l'université de Glasgow découvrent une pierre gravée du Ve ou du VIe siècle dont l'inscription en latin mentionne le nom d'Artognou, correspondant à l'anglais Arthnou. S'il est insuffisant pour prouver l'existence d'un roi Arthur, ce nouvel élément démontre qu'il existait bien à cette époque des noms similaires, comportant la racine -arth ("ours"), mais aussi que les occupants de ce site non monastique savaient lire et écrire. Ce qui tend à confirmer leur appartenance à la noblesse.
La colline fortifiée de South Cadbury, dans le Somerset, a elle aussi attiré les pioches des archéologues. Car le site est, depuis l'époque Tudor, associé au supposé Camelot, siège de la cour du roi légendaire. Les fouilles commencent en 1966, sous la direction de l'historien Leslie Alcock. Il apparaît alors que le site, occupé par intervalles depuis le Néolithique, a été renforcé et refortifié vers la seconde moitié du Ve siècle, et aurait alors été utilisé comme place forte militaire. À partir des nombreuses poteries importées et autres biens luxueux retrouvés, Alcock conclut que le fort devait abriter des personnes de haut rang, peut-être royales.
Une table ronde est suspendue dans la grande salle du château de Winchester depuis plus de six cents ans. Elle se divise en vingt-quatre compartiments portant chacun le nom d'un des chevaliers. Elle passa longtemps pour être l' "authentique ", mais aurait en fait été réalisée au XIIIe siècle et peinte en 1522, sur ordre du roi Henri VIII.
Si les fonctions et périodes d'occupation de Tintagel et de South Cadbury semblent coïncider avec le mythe, rien ne prouve pour autant qu'un roi Arthur y ait vécu. Les auteurs médiévaux ont très bien pu prendre pour décor des lieux qu'ils savaient occupés à l'époque. Mais rien ne permet non plus d'affirmer le contraire.
Nombre d'historiens penchent désormais pour la thèse d'un roi Arthur composite - fusion de plusieurs personnages réels dont les faits auraient été romancés et exagérés. Geoffrey Ashe, cofondateur en 1965 du Camelot Research Committee, pense l'avoir identifié sous les traits de Riothamus, un "roi des Bretons" qui mena une armée en Gaule vers 470. En attendant que l'Histoire nous livre de nouveaux indices, la légende continue d'alimenter l'imaginaire collectif. On peut se prendre à rêver de voir un jour ressurgir le roi Arthur, qui, selon le mythe, n'est jamais mort et reviendra délivrer son peuple de la domination étrangère.
De Isaline Aubin
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